lundi 12 juillet 2010

LA VIE DE PIERRE PHILIPPE BIJU DUVAL D'ALGREIS

PIERRE BIJU, alias Pierre-Philippe BIJU DUVAL d’ALGRÈS ou DALGREIS (16 novembre 1728 Grenoble par. St Hugues – 7 septembre 1791 Paris Boulevard du Temple – Bld Beaumarchais au XIXe siècle, « au coin de la rue Saintonge », par. St François d’Assise )

Fils de Claude Biju dit Duval, lequel était gendarme garde du corps des gouverneurs du Dauphiné, Pierre BIJU s’engagea dans l’armée dès l’âge de 17 ans, en septembre 1745, c’est-à-dire au moment où son père suivit le gouverneur marquis de Sassenage à Versailles. Il partait avec peu de bagages, n’étant pas lui-même noble, ce qui pouvait l’amener à végéter en bas de la hiérarchie militaire. L’avenir lui montra le contraire.

Les premières armes


Le drapeau du premier régiment de Pierre Philippe : "Ou vaincre ou mourir"


Au moment où Pierre Philippe s’engage, le roi Louis XV recrute pour former un nouveau régiment de troupes légères : les fusiliers de La Morlière , dirigés par le chevalier du même nom. Ce régiment est créé par l’ordonnance du 16 octobre 1745 ; Pierre s’y engage comme dragon, payé 7 sous par jour : c’est plus cher qu’un régiment classique, dans la mesure où ce régiment remplit des conditions spécifiquement dangereuses. Au total, le régiment est formé de 1000 hommes dont 700 à pieds et 300 à cheval en 6 compagnies de 50 dragons chacune. Le roi finance à hauteur de 375 livres le fusil l’habillement et l’équipement de chaque dragon. Les soldats doivent acheter leur ration militaire de pain (2 sols) ou de viande (au prix du roi).


Uniforme de Pierre Philippe Biju Duval d'Algrès à ses débuts


La création d’un tel régiment n’est pas innocente en 1745 : à cette date, l’armée française a adopté la tactique de la « petite guerre » qui consiste à harceler l’ennemi en continu pour l’affaiblir, le décourager et le maintenir en insécurité avant de livrer des batailles rangées : une véritable guerre de partisans en marge des opérations régulières. Le régiment de La Morlière a purement cette vocation risquée : la consigne, pour lui, est d’être « toujours en avant de l’armée, sans tentes ni équipage ».

La guerre de Succession d’Autriche mobilise 12000 soldats pour la « petite guerre » (317000 au total) en 1747 ; avec le régiment de La Morlière se trouvent, pour les opérations, de nombreux étrangers, mercenaires ou déserteurs….
La première opération est la prise de l’île de Cadsan en 1746 qui permet à La Morlière de prendre de nombreux hommes prisonniers et des chevaux ; cependant l’opération laisse un goût amer aux victimes : La Morlière doit réprimer les désordres où l’abondance de cette île avait jeté son régiment. « L’avidité du gain produisait le même effet les autres jours de bataille, malgré toutes les précautions des commandants, ce qui empêchait de faire des coups brillants sur les ennemis pendant leurs retraites. Tous les cavaliers et tous les fantassins abandonnaient leurs piquets » pour s’éparpiller à l’affut du butin; « tandis que les officiers restaient seuls incapables de rien entreprendre : la suite d’un pareil désordre était qu’il fallait cinq ou six jours pour rassembler les régiments dispersés : les uns étaient à boire au camp avec leurs camarades ou leur parents. Les autres à vendre dans l’armée ou dans les villes et les villages des environs, les effets qu’ils avaient pris. On ne peut donc opposer à ce manque de discipline, des punitions trop sévères ; le service du roi et l’honneur du chef et du corps y sont trop intéressés. Mais cette réforme n’est point l’affaire d’une campagne, dans un nouveau régiment levé à la hâte. Il faut plusieurs années pour le purger des vagabonds et des mauvais sujets dont il s’est infecté nécessairement pour être plus tôt sur pied ».

Le mois de mai permet au régiment de La Morlière de s’exposer sans cesse dans des opérations de harcèlement. Le 6 mai, il va en direction de Louvain où il rencontre des hussards ennemis, dont il parvient à faire une vingtaine de prisonniers ; le 8 il occupe Elverte ; le 12, un détachement escalade les murs de Malines qui est en train d’être évacuée par l’ennemi, mais plusieurs tirs tuent ou blessent des soldats. ; le 15, il se rend à Iteghem et Ghistel le long de la Grosse Nethe pour couper la retraite aux ennemis ; il précède l’armée avant d’aller plus loin ; le 17 il entre dans Lier ; des ponts sont jetés la nuit pour traverser la rivière mais La Morlière pénètre dans Rants où il rencontre 600 hussards ; le régiment feint une fuite pour les attirer dans une embuscade sous le canon de Breda.
Le 21, les Graffins font une méprise et tirent sur les troupes légères ; le 27 le régiment sort sur la Grande Schinne jusqu’à Santhoven ; le 31, Anvers se rend et Louis XV peut y faire son entrée le 4 juin. Le 7, la Morlière repart déjà sur Graven vezel ; le 14 à St Jopingnon où le maréchal de Saxe le fait surveiller la plaine derrière les dunes. Un Hullan ayant déserté fait qu’à Brecht, la Morlière est attaqué et perd 80 hommes, blessés, tués ou prisonniers.

Mais la grande bataille a lieu à Rocoux (ou Rocourt, le 12 octobre 1746), quand les impériaux décident de couper de Liège le maréchal de Saxe en occupant les chemins creux difficiles. Le 12 octobre au matin, le brouillard empêche à 8 heures de lancer l’attaque. Des espions sont envoyés pour savoir où est l’ennemi. Le corps d’Estrées, avec la Morlière, marche en premier avec la cavalerie sur la gauche. Les autres corps, plus au sud, restent sur place, D’Estrées attaque le village d’Ance, pendant que La Morlière le contourne par la droite. La victoire arrivant, la Morlière met en fuite l’artillerie hollandaise à Votems, mais ne peut continuer à poursuivre, sur ordre. Les ennemis ont eu 6000 morts contre 3000 pour les Français qui ont pris une dizaine de canons. Les blessés étant nombreux (dont Pierre Philippe) les hôpitaux sont emmenés à St Trou et à Louvain.
La guerre de Succession d’Autriche se termine ici pour Pierre Philippe qui a eu, avec son régiment, l’honneur d’entrer le premier dans le faubourgs de Liège. Il ne fera pas la bataille de Lawfeldt, vraisemblablement, victoire pourtant célébrée par Voltaire (épitre 73) qui permit de couper en deux le pays jusqu’à Liège.

La période des Volontaires de Flandres

En 1749, le régiment de la Morlière intègre d’autres éléments et prend le nom des volontaires de Flandres, dirigés par le chevalier de Jaucourt, grand théoricien et encyclopédiste. Pierre y est dragon jusqu’en mai 1757 où il est nommé sergent. On désigne cependant encore les dragons sous le nom « La Morlière ».
En 1754, le régiment est basé à Pont de Beauvoisin pour barrer la route au fameux bandit Louis MANDRIN et à ses compagnons. Après plusieurs échecs, La Morlière, déguisant 500 hommes en civil, poursuit Mandrin jusqu’en Savoie (pays alors étranger) où il est arrêté au château de Rochefort par 500 hommes le 11 mai 1755. Les soldats en profitent pour piller le château, ainsi que quelques maisons ou églises. Ils repassent en France avec leur butin et leur prisonnier précieux, mais la violation de la frontière crée des incidents diplomatiques qui oblige la France à rembourser les dégâts. Mandrin sera exécuté, à l’âge de 30 ans. Mais l'image par les soldats de la Morlière est écornée. Henri-Emmanuel de Montpéroux écrit alors au sujet de la lutte contre Mandrin : "depuis l'automne dernier, le Roy a décidé de faire intervenir les Volontaires de Flandre commandés par M. La Morlière, un natif du Dauphiné qui a glané gloire et honneurs dans la campagne de Bohême. Ses horribles tueurs se sont comportés avec la population comme des soldats en pays conquis, augmentant par là-même la bonne réputation de Mandrin, qui leur a tenu la dragée haute en sachant toujours éviter l'affrontement direct."


La guerre de 7 ans éclate en 1756 et le régiment est divisé alors en 2 (1757) : les Volontaires de Flandres d’une part, les Volontaires du Haynaut d’autre part. C’est l’hécatombe ; Pierre connaît donc des promotions successives et devient officier : il est sous-lieutenant de grenadiers le 27 septembre 1761, mais exerce la fonction de capitaine aide major en tant que chasseur volontaire de l’Amérique (par ordre de M. de Belsunce) à partir du 8 mai 1762. La guerre de 7 ans finissant, il réintègre son régiment, en ayant acquis une expérience lui permettant de devenir lieutenant de grenadiers le 6 septembre 1762. Il devient capitaine à la formation au régiment du Boulonnais en 1769 et devient capitaine commandant en la compagnie du Lieutenant colonel le 7 avril 1773, enfin capitaine à la formation le 7 juin 1776 avant de partir à la retraite à 50 ans, recevant le 21 avril 1777 la croix de St Louis en récompense de ses services.

Devenir officier sans être noble au 18e siècle était de plus en plus difficile (impossible après l’ordonnance de 1781) ; pour devenir capitaine on devait acheter sa charge, sauf si on venait des lieutenants de grenadiers : c’était le cas de Pierre Philippe. Mais il avait aussi plusieurs atouts : une bonne éducation, un père militaire, et une grand-mère noble – Marie Dallegret -, dont il reprit sans doute le nom : il se fit dès lors appeler BIJU d’ALGRES, ou D’ALGRES tout court, pour nominalement se rapprocher de la noblesse. En reprenant ce nom, il voulait peut-être poursuivre la tradition prestigieuse des Benoît Dallegret ou Balthazar D’Allegret, ses ancêtres, devenus célèbres pour leurs faits d’armes[1].

Pierre Philippe fut nommé chevalier de l’ordre de Saint-Louis , ordre fondé par Louis XIV en particulier pour les roturiers –mais les nobles aussi pouvaient la recevoir -, afin de récompenser le simple mérite militaire ; la croix équivalait à un anoblissement personnel, et trois générations de chevaliers de Saint-Louis permettaient un anoblissement héréditaire de la famille. L’ordre de Saint-Louis est « l’ancêtre » de celui de la Légion d’honneur. Pierre-Philippe en fut décoré en février 1780.

Après avoir abandonné la vie de caserne, Pierre-Philippe trouva demeure rue Meslay à Paris qu’il occupait en 1783 et encore en 1789 ; le 19 septembre 1780, il écrivait une lettre à Benjamin Franklin sur pour envoyer de l’argent nantais servant à financer l’indépendance de l’Amérique[2] : ayant été volontaire de l’Amérique pendant la guerre de 7 ans, il devait suivre passionnément la guerre d’Indépendance américaine ; en 1790, il déménagea boulevard du Temple, au coin de la rue Saintonge : il fut ainsi le voisin de Robespierre de 1789 à juillet 1791 (Robespierre habitait alors au 64 rue Saintonge). Pierre-Philippe allait ainsi cohabiter avec Marie-Cécile ARNAUD, dont il eut très tardivement une fille : Eulalie-Joséphine, qu’il eut à peine l’occasion de connaître, puisque si Eulalie naquit le 12 juin 1791, lui-même mourut peu de temps après : le 7 septembre 1791. Auparavant, en octobre 1790, il avait cependant pris soin de constituer une rente de 1800 livres annuelles à Marie-Cécile Arnaud pour qu'elle puisse subsister. Marie-Cécile Arnaud passa devant le Tribunal révolutionnaire pendant la Révolution pour recel de biens d'émigrés, mais elle vécut ensuite à Belleville où elle mourut le 4 juillet 1825.



[1] Balthazar D’Allegret, celui qui fut anobli, était le père de Marie, et Benoît Allegret son grand-père. Marie D’allegret était appelée « noble dame ». A St Pierre de Chartreuse, le "pont de la dame" du hameau de la Diat tient son nom de Marie d'Allegret, car elle passait souvent dessus.
[2] The Papers of Benjamin Franklin : July 1 Through Novermber 15, 1780 - PAPERS OF BENJAMIN FRANKLIN-US- ISBN:0300070403 (Hard cover book) , vol.33 Franklin, Benjamin /Oberg, Barbara B. (EDT) /Labaree, Leonard Woods /W /Publisher:Yale Univ Pr Published 1998/01

Pierre-Philippe et l'argent

Quand Pierre-Philippe rencontre Marie-Cécile Arnaud, il dispose d'un patrimoine confortable du fait qu'il a semble-t-il obtenu, au cours des guerres, la reconnaissance particulière du marquis de Sennevoy, maréchal de camp du roi, mais aussi colonel du régiment du Boulonnais où Pierre-Philippe est instructeur à la fin des années 1760.
En effet, le 12 avril 1786, le marquis lui fait donation d'un capital de 38000 livres permettant une rente de 1800 livres.

Cependant, Pierre-Philippe se sentant mourir, il établit devant notaire le 5 octobre 1790 une donation à MArie-Cécile, enceinte de lui depuis moins d'un mois, lui remettant toutes ces rentes, ce qui constitue la majorité de sa fortune. Il meurt moins d'un an après, en septembre 1791, et ses neveux n'hériteront donc que de 7640 livres après inventaire. Le fait que Marie-Cécile Arnaud ne soit pas mariée à Pierre-Philippe l'a en effet empêchée de percevoir ce reste d'héritage, et il semble que la fille naturelle de Pierre-Philippe n'ait pu non plus percevoir aucun droit, si ce n'est du fait de la donation de 1790.